2010/10/08

Inauguration de l'Avenue Geneviève Anthonioz-DeGaulle à Romans-sur-Isère

Je connais Geneviève depuis tout petit, c'était une très grande amie à ma mère et une très grande dame, elles se sont, hélas, connues à Ravensbrück .Elle venait très souvent chez nous, et comme je l'appréciais aussi beaucoup elle avait droit, avant que j'aille au lit, à mon grand bisou encore plein de dentifrice. Quand elle nous a quitté en 2002 c'était un énorme choc pour nous tous(elle repose au cimetière de Bossey(74)).Je n'étais pas présent lors de cette manifestation de son avenue, mais c'est avec émotion que je regarde les photos de ce 8 octobre 2010, il y avait Isabelle,  François-Marie et Philippe ses enfants, hélas sans Michel décédé en 2009.
          François Rouget
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http://www.romansmag.fr/articles/vie-municipale/hommage-na-genevinyve-de-gaulle-anthonioz-48.htm

Les photos ont été prises par Brigitte et Eric Exchaquet-Monnier, très grands amis de ma mère

Une avenue française porte le nom de Geneviève de Gaulle Anthonioz

Toutes les villes de France et de Navarre ont leur rue, leur avenue, ou leur place Général de Gaulle. C’est naturellement tout à fait normal. Ce qui l’est moins est que, de manière hélas très… générale, les rues, places, etc. portant des noms de femmes sont infiniment moins nombreuses que celles dotées de noms d’hommes plus ou moins illustres, et ce partout dans le monde du reste. Il faut donc se réjouir de voir pour la première fois, « l’autre de Gaulle[1] », Geneviève de Gaulle Anthonioz, honorée par l’attribution de son nom à une avenue de 4 km, qui marque une des entrées de la ville de Romans-sur-Isère, en France presque voisine. Cette avenue a été inaugurée le 8 octobre 2010, à l’initiative de l’Association pour la mémoire de la déportation et d’ATD-Quart-monde.
Geneviève de Gaulle (1920-2002) était la nièce de Charles, ils nourrissaient d’ailleurs une affection réciproque.
Après la capitulation de juin 1940, elle entre très vite en résistance et pas seulement pour honorer le nom qu’elle porte, mais mue par une profonde conviction de justice, qui la guidera toute sa vie. Comme beaucoup de résistantes elle distribue des tracts, est agent de liaison, etc. Elle est aussi une des rares femmes à écrire dans la presse clandestine. Elle est arrêtée le 20 juillet 1943. Après avoir été détenue à Fresnes, elle est déportée avec 1000 autres compagnes à Ravensbrück, où elle arrive le 3 février 1944. Elle reçoit le matricule 27372 et partage le sort des dizaines de milliers de détenues de ce camp, où règne le froid, la faim, la maladie, la mort, le sadisme des SS et des Aufseherinnen. En octobre, Himmler la place pourtant seule dans une cellule[2], espérant s’en servir comme monnaie d’échange. Cette manœuvre échoue et elle est finalement libérée en avril 1945, via la Suisse, où son père, Xavier de Gaulle, alors Consul de France à Genève, l’accueille. C’est à Genève aussi qu’elle rencontre son mari Bernard Anthonioz, lui-même résistant. C’est elle qui le demande en mariage, ce qui montre aussi un trait de son caractère. Ils auront 4 enfants. Dès l’été 45, elle se met à témoigner de la déportation, multipliant les conférences, dans toute la Suisse romande pour recueillir des fonds qui permettront l’accueil d’environ 500 anciennes déportées venues se soigner, dans notre pays, à l’initiative de l’ADIR (Association des anciennes déportées et internées de la Résistance), que Geneviève de Gaulle présidera pendant de nombreuses années.

En 1958, elle découvre au côté du Père Wresinski, fondateur d’ATD-Quart-Monde, la misère du bidonville de Noisy-le-Sec. Dans les regards des habitants, elle retrouve, profondément ébranlée, l’humiliation et la détresse de ses compagnes de Ravensbrück. Dès lors elle s’engage totalement dans la lutte contre l’extrême misère et l’aide aux plus démunis, pour faire entendre leur voix, avec ATD-Quart-Monde, qu’elle présidera jusqu’en 2001. Ce seront des années le luttes politiques incessantes[3], pour aboutir enfin en 1998, à l’adoption d’une loi contre les exclusions. Elle meurt à Paris, le 14 février 2002. à l’âge de 81 ans.
Les raisons d’honorer cette grande dame ne manquent donc pas et on ne peut que souhaiter que d’autres municipalités suivent le bel exemple de celle de Romans-sur-Isère, comme on ne peut que plaider pour qu’on n’oublie plus les femmes dans les nomenclatures des rues.

Eric Monnier


[1] Geneviève de Gaulle Anthonioz : l’autre de Gaulle / Frédérique Neau-Dufour. – Ed. du Cerf, 2004
[2] Elle témoignera plus tard des cette détention dans : La Traversée de la nuit.- Seuil, 1998
[3] Elle retrace ce combat dans : Le Secret de l’espérance.- Fayard, 2001

2010/02/18

Genève à chaud - Léman Bleu

Genève à Chaud du 18 février 2010 présenté par Pascal Decaillet et Audrey Breguet.

Invités : Alberto Velasco, Danielle Mitterrand et Noëlla Rouget.
Noëlla parle des droits de l'homme, de sa déportation à Ravensbrück et de l'Utopie.

Voir le lien            


Pascal Décaillet, Noëlla Rouget et Audrey Breguet
http://www.lemanbleu.ch/vod/geneve-a-chaud-18022010

2005/05/08

Discours de Noëlla du 8 mai 2005 au consulat de France à Genève

DISCOURS DU 8 MAI 2005 AU CONSULAT

8 mai 1945 ! Un grand moment de notre mémoire ! L’acte de capitulation sans conditions des armées nazies, battues par les armées alliées dont la France. Un peuple, trompé par son Chef animé d’un délire mythique, voulait conquérir le monde, avait régné sur l’Europe, semant la mort et les ruines, amenant sur son propre pays l’opprobre du monde entier. Le monstre et ses fidèles étaient terrassés. C’était la victoire de la liberté sur la tyrannie. L’Europe allait revivre.

8 mai 1945 ! C’était la libération des camps de la mort. Les armées alliées découvraient, pétrifiées, l’horreur concentrationnaire et ouvraient les portes aux détenus de ces lieux de déshumanisation et d’extermination, voulus par Hitler et programmés par Himmler, chef de la SS, qui avait dit, parlant des futurs occupants : « on les mettra dans la boue et ils deviendront de la boue. » Et ils eurent de la chance ces rescapés puisqu’ Himmler avait dit, en 1945 : « Aucun détenu ne doit tomber vivant aux mains de l’ennemi ».

8 mai 2005 ! Ce jour devient aussi un grand moment de notre mémoire parce qu’il se déroule, non seulement en présence des représentants de nos fidèles alliés mais aussi et c’est nouveau, en présence , avec Mr Alfred Simms-Protz, consul général d’Allemagne, de Mr Ralph Tatu, Président du club international allemand, d’une délégation allemande et du drapeau allemand.

Dans la profonde détresse du camp, habitées de rancœur à l’égard du sort qui nous était fait, jamais nous n’aurions pu imaginer une telle situation. Et pourtant elle est là et c’est bien ainsi. Cela prouve que, de part et d’autre, un difficile et fécond chemin a été accompli pour un avenir possible. D’autres gestes de la même symbolique ont précédé : le Président Mitterrand et le Chancelier Khol, main dans la main à Verdun, le Chancelier Schröder aux cérémonies du débarquement. Et le fait est que nous pouvons, ensemble, sans arrière-pensée, nous livrer à la joie de l’instant, parce que de nombreuses personnalités allemandes l’ont dit dont le Président Von Weizacker, le Chancelier Khol : « cette date marque aussi, pour l’Allemagne, un jour de libération »

Si nous sommes résolus à faire la route avec l’Allemagne, c’est, d’une part, parce que les Allemands actuels ne sont pas responsables des fautes de leurs pères ; d’autre part, parce que l’Allemagne a eu le courage de reconnaître les crimes passés.

Les 17 et 18 avril derniers, j’étais à Ravensbrück, assistant à la commémoration du soixantième anniversaire de la libération du camp par les Russes. De très nombreux discours furent prononcés. Dans l’un d’eux, Mr Platzeck, président du Land de Brandebourg, remerciait les survivantes présentes, rendait hommage à nos mortes, nous assurait qu’il veillerait sur la sauvegarde de nos lieux de mémoire et soulignait la perversité du système nai dont le comble, disait-il, lui semblait être, justement, ce camp, créé pour des femmes et des enfants. Il est bon de préciser que, pour ceux qui naissaient dans ce lieu, l’ordre était de les étrangler ou de les noyer dans un seau d’eau, en présence de la mère. Plus de 850 nouveaux-nés disparurent ainsi.
Malgré le risque de ravivage de souvenirs douloureux, j’avais tenu à être là, pour prendre acte du nouvel état d’esprit allemand et j’ai marché dans le camp. J’ai revu le rouleau de huit cents kilos de pierres que sept femmes décharnées devaient manier pour aplanir le revêtement des routes ; revu le couloir des fusillés, le crématoire, l’emplacement de la chambre à gaz de laquelle les négationnistes m’écrivaient, anonymement, que j’avais rêvé, qu’il n’y a jamais eu de chambre à gaz à Ravensbrück, ni même à Auschwitz, ce que l’on montre là-bas étant une reconstruction. C’est nier l’évidence alors que les autorités allemandes ont reconnu les faits, que au procès des principaux responsables de Ravensbrück, l’Hauptsturmführer Swartzhuber a même donné des détails d’un gazage auquel il avait assisté.
J’ai revu le Bunker dans lequel fut enfermée notre chère amie, Geneviève de Gaulle, nièce du Général. Enfermée par un caprice d’Himmler qui, sentant le vent tourner, essayait, à l’insu d’Hitler, de tirer son épingle du jeu, en proposant des échanges d’otages à la Croix-Rouge internationale et, aussi, au Général de Gaulle à qui il offrait les membres de sa famille entre ses mains, contre des otages allemands. De cette aventure, Geneviève devait tirer un très émouvant petit livre : « La traversée de la nuit » dont a parlé Mr Méckachéra, Président des Anciens Combattants, dans son discours à Ravensbrück, évoquant la « figure lumineuses de Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
Dans le camp, j’ai longé l’allée des villas, autrefois pimpantes, de nos officiers SS dont la vision déclenchait en nous des bouffées de nostalgie, imaginant la vie familiale normale se déroulant derrière les fenêtres, vie normale dont nous étions exclues. Nos SS, leur besogne terminée, après avoir, peut-être, battu, blessé, même tué une ou plusieurs de nos camarades, se détendaient maintenant, au piano, chantant avec leurs enfants, ces mêmes enfants qui nous jetaient des pierres au passage, à nous, dont le crime était d’avoir aimé notre pays, ses libertés et d’avoir lutté contre une idéologie monstrueusement inhumaine.

Pardonnez-nous, amis allemands, si nous ne pouvons oublier ! Trop de stigmates sont encore présents dans notre chair et dans nos âmes. Nous ne pouvons ni ne voulons oublier, cela, en vertu d’une promesse faite à celles que nous avons laissées derrière nous. Quand elles se sentaient mourir, et l’on mourait beaucoup à Ravensbrück, elles disaient : « ce que nous vivons ici est atroce, au-delà des mots. Il faut que certaines survivent pour révéler au monde entier l’enfer que nous avons vécu »
Et, leur prêtant nos voix, nous allons dans les collèges dire aux jeunes ce que fut le nazisme. Son chef, Hitler, avait dit : »je libère l’homme d’une avilissante chimère qu’on appelle conscience et morale ».
Nous sommes bien placées nous, concentrationnaires, pour leur dire qu’un monde sans règles, sans morale est un monde invivable où l’on ne peut devenir que victime ou bourreau.
Nous alertons les jeunes en leur disant que, si Auschwitz a été possible, Auschwitz est encore possible tant que règnent dans le monde la haine, la violence, le racisme, inquiétude que partage le Président du Land de Brandeburg qui nous disait : « la haine raciste, la négation de l’holocauste, l’idéologie national-socialiste n’ont pas été éradiquées » et ajoutait : « la dignité humaine, les libertés civiques et l’égalité devant la loi sont des principes de la constitution ».
Nous disons aux jeunes d’être vigilants à l’égard des tribuns qui, sous de fallacieuses promesses d’amélioration du quotidien, distillent en même temps la haine et l’exclusion. On sait comment cela commence, on a vu comment cela finissait : le crime le plus abominable de l’histoire, l’anéantissement de six millions d’êtres innocents, dans la Shoah, qui laissera une tache indélébile sur le 20e siècle.
Après avoir entendu notre exposé sur la vie au camp les jeunes nous posent des questions. Souvent vient celle-ci : « êtes-vous animés de haine à l’égard des Allemands ? » Nous leur disons que la haine est un sentiment dévastateur. Elle détruit celui qui en est l’objet comme celui qui la manifeste. Elle les empêche de grandir. Nous ajoutons que nous applaudissons à la réconciliation franco-allemande et que nous sommes prêts à travailler avec ce pays à l’édification d’une commune patrie : l’Europe.

Avec son esprit visionnaire, le Général de Gaulle avait compris. Vite, il sut que la réconciliation franco-allemande était une absolue nécessité pour l’Europe. Il était bien le seul, à ce moment-là, à pouvoir lancer ce message sans soulever une réprobation générale. Il sut même le faire admettre à sa nièce, Geneviève, à peine sortie du Bunker de Ravensbrück.
Une fois de plus nous l’avons suivi, pour l’avenir, avec ces nouveaux alliés. Nos deux grandes nations deviennent ainsi l’exemple du résultat obtenu avec l’intelligence et la bonne volonté : transformer des esprits d’animosité et de rivalité séculaires, générateurs de guerres, en une franche et fructueuse collaboration dans un grand projet commun. Belle leçon donnée aux pays sous-développés qui se déchirent.

Les humains ont bien progressé dans certains domaines : les sciences, les technologies. Les consciences n’ont pas avancé au même pas. Certaines croient encore à la vertu de la guerre – la guerre qui tue les corps et les âmes et ruine les cités. La guerre est une méthode d’un autre temps, des temps barbares dont nos grandes nations civilisées s’estiment sorties. Les humains commencent à en prendre conscience, témoins ces millions de protestataires défilant partout dans le monde à l’annonce de la guerre en Irak.
Et nous les anciens combattants, qui sommes les seuls à avoir mesuré le vrai poids de la guerre, nous sommes hantés par le souvenir de nos anciens, en ce jour anniversaire, nos anciens qui espéraient tant vivre la « der des der » et clamaient, dans leurs souffrances leur tragique « plus jamais ça ». Nous trahirions leur mémoire si nous n’insistions pas dans ce sens.

Dans la tristesse et l’angoisse du camp, il nous arrivait de rêver à un avenir, bien incertain pour nous hélas, dans un monde en paix, plus juste, plus fraternel, dans lequel les ressources prévues pour l’armement seraient plus judicieusement consacrées à nourrir ceux qui meurent de faim dans le monde, à la sauvegarde de notre planète bien menacée, à sortir tous les Hommes de l’illettrisme.
Ce sont ces combats, moins sanguinaires, tellement plus humains que nous aimerions, amis allemands, mener avec vous, cette fois côte à côte et non plus face à face comme jadis, rejoignant, dans l’esprit, cette profession de foi du Général de Gaulle, inscrite sur le monument de Colombey-les-deux-Eglises :
« La seule querelle qui vaille est celle de l’homme. C’est l’homme qu’il s’agit de faire vivre et développer »


La minute du silence qui va suivre se veut réflexion sur l’inanité de la guerre, hommage rendu à ceux dont les noms sont inscrits sur la pierre et, au-delà, à tous les morts alliés et ennemis autrefois, et aux 50 millions de victimes de cette tempête meurtrière des années 50.



Noëlla Rouget
8 mai 2005

2002/02/22

2002/02/16

Discours de Noëlla pour Geneviève Anthonioz-DeGaulle décédée le 14 février 2002

Discours à Notre-Dame de Paris et à l'église de Bossey (74)


On a beaucoup parlé de Geneviève résistant au nazisme, de Geneviève luttant contre la mollesse des gouvernements face  à la misère et l’exclusion de certains. J’aimerais, au moment où elle nous quitte, donner d’elle une image plus intimiste, de la Présidente de l’ADIR et de l’amie.

L’ADIR a un minuscule journal, "Voix et Visages", .s’il est petit par le format, il est grand par sa densité. Geneviève y écrivait parfois l’éditorial, y rappelant les leitmotive de l’association : la solidarité entre nous et le devoir de témoignage de notre vécu concentrationnaire. Ce petit journal est le signe constant de nos liens exceptionnels nés dans l’enfer des camps et nous y sommes toutes très attachées. Attachées aussi à l’assemblée générale nous réunissant, chaque année à Paris au mois de mars. Nous sommes une centaine, venues de toute la France, impatientes de retrouver notre chère Présidente qui va, souriante et chaleureuse vers chacune d’entre nous, s’informant de la santé de nos proches, donnant à chacune l’impression d’être privilégiée. Entre nous, nous évoquons les nombreuses qualités de Geneviève: son intelligence, sa grande culture, sa courtoisie, sa modestie, sa rigueur de pensée en ce qui  la concerne, sa mansuétude pour les fautes des autres, son aisance à répondre d’abondance, sans une  seule note, aux discours des officiels qui nous reçoivent dans nos déplacements en province, son aptitude à trancher dans les débats contradictoires mais surtout, ses qualités de cœur, son humanisme, son constant souci d’autrui.

C’est au camp de Ravensbrück que j’ai fait la connaissance de Geneviève. Nous sommes parties dans le même convoi de déportation appelé le "convoi des milles", mille femmes entassées dans les wagons à bestiaux que l’on connaît, pendant trois jours, avec les nuisances que l’on a peine à imaginer si on ne les a pas vécues. Après avoir été, à l’arrivée, dépouillées de tout, même de notre nom, nous devenions les "27000". Geneviève n’eut pas, parmi nous, le seul ascendant que son nom prestigieux, pour nous, résistantes, lui conférait; elle fut, avec certaines, un exemple de dignité et de courage, dignité bien difficile à conserver dans un lieu dont le chef, Himmler, a dit, en parlant de nous: "On les mettra dans la boue, ils deviendront de la boue".
Nous appartenions, l’une et l’autre à un petit groupe qui se réunissait parfois, pour prier et demander à Dieu la force de supporter l’insupportable. Cela se passait derrière un block, une prisonnière faisant le guet afin de ne pas nous laisser surprendre par les gardiens dont nous aurions eu alors à subir les foudres, toute  manifestation de ce qui fait la profondeur de l’âme humaine: culture, religion, étant strictement interdite.

Ce qui nous avait rapprochées, Geneviève et moi? Notre commune foi chrétienne et le fait que, par sa mère, elle était originaire de l’Anjou, province dans laquelle j’ai vécu toute ma jeunesse jusqu’à mon arrestation par la Gestapo en 1943.

Depuis la fin de cette dure épreuve j’ai souvent eu le privilège de vivre sous son toit. Heureuses de nous retrouver ensemble, nous bavardions. Elle me parlait, bien sûr, des causes qui lui tenaient à cœur: ATD-Quart-Monde, la rédaction du futur projet de loi contre l’exclusion, duquel elle attendait tant! de la gestation de ses livres, de l’avenir de l’ADIR. Elle me disait aussi son admiration pour chacun de ses enfants, leurs espoirs, leurs chagrins et elle exultait en me montrant les dernières photos de ses petits-enfants dont certains sont bien grands aujourd’hui. Nous revenait parfois une bouffée de jeunesse et, pour un rien, nous éclations de rire: j’aimais tant voir le rire de Geneviève! J’aimais aussi la regarder se livrer à ses humbles tâches de maîtresse de maison, émue de la voir le faire avec le même sérieux, la même attention que dans ses interventions à l’Assemblée Nationale.

Si Geneviève est maintenant dans la paix, nous sommes dans la peine. Nos pensées vont intensément vers vous, Michel, François-Marie, Isabelle, Philippe, vers vos époux, épouses, vos enfants, tant chéris de leur "Bonne Maman", vers vous, touchante Rooba, qui l’avez soignée avec tant de sollicitude, tant d’amour et qui la pleurez à nos côtés. Et partageant votre douleur, nous sommes peinés de réaliser que cela n’enlèvera pas la plus petite parcelle de la vôtre.

Elle vous laisse un message dans son si beau livre "La traversée de la nuit": après la nuit vient l’aube, prometteuse d’espérance. Passé le temps de la terrible affliction du départ, vous réaliserez quel riche héritage elle vous laisse, l’image d’une mère qui fut courage, don de soi et qui devient une grande figure française.
En terminant et me référant à la foi de Geneviève, j’aimerais user d’une phrase qui, pour nous anciennes prisonnières des geôles nazis, conserve une résonance tragique, une phrase que courageusement chantaient nos camarades partant au matin pour le lieu de leur exécution. "Ce n'est pas un adieu, Geneviève, ce n'est qu'un au revoir".